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« Seuil » : un spectacle fort sur le harcèlement au collège de Courseulles

Publié le 10/05/2024
Action culturelle
« Seuil » : un spectacle fort sur le harcèlement au collège de Courseulles - La cie des Grandes Marées au collège de Courseulles ©C3 Le Cube
La cie des Grandes Marées au collège de Courseulles ©C3 Le Cube

Ce jeudi 22 février dans la grande salle de permanence du collège Quintefeuille de Courseulles, une classe de 4ème est accueillie par Tristan, le régisseur de la compagnie normande Les Grandes Marées. Arrivée la veille pour installer l’espace de la représentation, l’équipe est venue jouer quatre fois le spectacle « Seuil » écrit par Marilyn Mattei et mis en scène par Pierre Cuq.

La pièce se déroule principalement dans un internat de collège, précisément dans la chambre 109 où vit Noa, le personnage principal. Au centre de la salle, les tables habituellement réservées aux devoirs forment une grande tablée et, de part et d’autre, une rangée de chaises a été installée pour les élèves. Dans le jargon du spectacle, on parle d’un dispositif en bi-frontal, une configuration immersive où les spectateurs assistent aux réactions des uns et des autres en même temps qu’ils regardent les artistes. Sur la droite, à l’entrée de la pièce, un poster représentant une forêt est collé sur le tableau blanc. Au fond, des tables empilées et des couettes suffisent à figurer des lits superposés.

Alors que les élèves rentrent dans leur salle de permanence métamorphosée, Noa (joué par le comédien Baptiste Dupuy) est déjà en place, assis au bout de la rangée de tables. Tristan, le régisseur se place discrètement derrière son ordinateur et avec des réactions mélangées de surprise, de gêne et de rires nerveux, les élèves attendent le début du spectacle. La porte d’entrée s’ouvre pour laisser entrer la comédienne Camille Soulerin qui interprète pas moins de cinq personnages dans la pièce.

Le spectacle s’ouvre sur une scène d’interrogatoire entre Noa et la policière. Leurs premiers échanges posent le contexte de l’histoire. Mattéo, l’ami d’enfance de Noa a disparu après avoir posté un message sur les réseaux sociaux : « vous m’avez tué ». Meurtre ? Suicide ? Accident ? Toute la pièce repose sur l’intrigue policière avec une écriture digne d’un polar où le spectateur reconstitue les pièces du puzzle et s’interroge sur ce qu’il est arrivé à la victime, en considérant chaque personnage secondaire comme un suspect potentiel.

C’est le parcours de Noa, principal suspect dans l’affaire, que l’on va suivre à travers de nombreux « flashbacks ». Grâce à ces retours en arrière, on comprend peu à peu que Noa était harcelé dans son ancien collège, tout comme son ami Mattéo. Bousculé par ses nouveaux camarades de chambre de l’internat, il va alors tout faire pour s’endurcir, adopter les codes d’une masculinité puissante et dominante, mettre de côté sa sensibilité pour afficher une virilité triomphante, draguer des filles pour prouver aux autres qu’il n’est pas « un PD », bref répondre aux injonctions faites à tous les adolescents de rentrer dans le moule, d’être un fort plutôt qu’un faible, de taire son identité pour correspondre aux normes de la société hétéronormée.


Dans des scènes tantôt légères et tantôt sombres, les deux comédiens embarquent les élèves dans un engrenage où la banalisation des actes de violence ordinaire entre adolescents mène à une fin tragique. Au fur et à mesure que la pièce avance et que la tension dramatique s’accentue, les rires gênés des collégiens laissent place à l’émotion. Une élève s’indigne auprès de sa copine à côté d’elle face au comportement sexiste du personnage, une autre essuie quelques larmes à la fin du spectacle. Aucun ne semble en tout cas indifférent lorsqu’arrive la dernière scène qui, de manière subtile, clôt l’intrigue en privilégiant l’interprétation plutôt que la démonstration. C’est tout l’intérêt de ce spectacle, utiliser la force de la fiction pour laisser place à la réflexion, donner à vivre et à voir des situations brillamment incarnées par les jeunes comédiens pour susciter l’empathie plutôt que de délivrer des messages de prévention parfois perçus comme des leçons de morale. Car au final, « Seuil » permet en 1h30 d’aborder des thématiques très variées de manière transversale : le harcèlement bien sûr mais aussi les violences sexuelles, le consentement, l’homophobie, le sexisme, les rites de passage de l’adolescence, la quête d’identité...

Et au vu des réactions à chaud des élèves lors des échanges avec les artistes après les représentations, le pari est plutôt réussi : « sur le spectacle y'a rien à changer, il est au top » ; « on se croyait dans un ciné, c'était incroyable j'ai adoré » ; « quand j’ai su que c’était un spectacle sur le harcèlement, j’avais pas trop envie parce qu’on nous en parle tout le temps mais en fait c’était génial ».

La compagnie Les Grandes Marées prend toujours une demi-heure à l’issue du spectacle pour répondre aux questions et retours des élèves. Les discussions tourneront aussi bien sur les thématiques du spectacle, sur la compréhension et l’analyse de la pièce, que sur le métier de comédien-ne et de technicien-ne du spectacle. Lors du rangement et du démontage le vendredi soir après la dernière représentation, certains collégiens reviendront saluer les artistes, ainsi que l’équipe encadrante du collège, ravie de cette initiative et des échos qu’ils en ont eus des professeurs et des élèves. De quoi donner envie de poursuivre le partenariat lancé entre le collège de Courseulles et le Cube lancé maintenant il y a quelques années et rappeler le sens et la nécessité des interventions artistiques en milieu scolaire.

Vanessa BÉROT
Médiatrice culturelle et assistante de programmation

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